Évaluer le risque chimique au travail : méthodes, seuils réglementaires et facteurs aggravants

Avant toute action de prévention, une évaluation rigoureuse du risque chimique s’impose. Elle repose sur l’identification des substances dangereuses, la mesure des expositions et la prise en compte des conditions réelles de travail.
Démarche d’évaluation des risques
Évaluer le risque chimique ne se limite pas à identifier la présence de substances dangereuses. Il s’agit d’une procédure encadrée par la réglementation qui combine analyse documentaire, mesures sur le terrain et comparaison avec des seuils réglementaires. L’objectif : mettre en place des mesures de prévention proportionnées et ciblées.
Analyse des Fiches de Données de Sécurité (FDS)
Obligatoires pour tous les produits chimiques utilisés en entreprise, les FDS sont normalisées selon le règlement REACH (règlement (CE) n° 1907/2006). Elles regroupent des données essentielles sur :
- Les propriétés physico-chimiques du produit (inflammabilité, réactivité, solubilité),
- Les risques sanitaires et environnementaux identifiés (toxicité aiguë, effets chroniques),
- Les équipements de protection recommandés pour la manipulation,
- Les seuils d’exposition professionnels.
La FDS constitue donc un point de départ incontournable pour toute analyse de danger, notamment lors de l’introduction d’un nouveau produit ou d’une évolution de poste.
Mesures d’exposition en situation réelle
Afin d’évaluer les concentrations effectivement respirées ou absorbées par les travailleurs, des campagnes de mesures peuvent être menées, souvent avec l’appui de laboratoires accrédités. Ces évaluations prennent différentes formes :
- Prélèvements atmosphériques dans les zones de travail
- Aérosols,
- Vapeurs,
- Poussières,
- Mesures biologiques de surveillance sur les salariés exposés :
- Comme la plombémie pour les soudeurs,
- Les dosages urinaires de solvants organiques,
- Mesures ponctuelles lors de pics d’exposition,
- Campagnes sur plusieurs cycles de travail pour évaluer les effets cumulatifs.
Les résultats obtenus permettent de vérifier la conformité aux seuils réglementaires et d’adapter la prévention.
Seuils réglementaires d’exposition
Deux grandes catégories de seuils encadrent l’exposition professionnelle :
- VLEP (Valeurs Limites d’Exposition Professionnelle) :
- Prévues par le Code du travail (articles R. 4412-149 à R. 4412-151), elles définissent les concentrations maximales admissibles dans l’air (valeurs à court terme ou sur 8 h).
- Exemple : la VLEP pour le toluène est de 50 ppm sur 8 heures.
- DNEL (Derived No Effect Level) :
- Niveaux sans effet dérivés, établis dans le cadre du règlement REACH. Ils sont utilisés pour évaluer le risque global d’une substance et orienter les conditions de mise sur le marché.
Le non-respect de ces seuils implique une obligation d’action immédiate de l’employeur, via la hiérarchisation des risques et la mise en œuvre de mesures correctives.
Intégration au Document Unique : une obligation
Depuis 2001, l’évaluation des risques chimiques doit obligatoirement figurer dans le Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels (DUERP). Cette obligation s’applique à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Le document doit être mis à jour au moins une fois par an, ou immédiatement en cas de changement de procédé, d’introduction d’un nouveau produit chimique ou d’un réaménagement du poste de travail.
Le DUERP est la pierre angulaire d’une politique de prévention efficace : il conditionne le choix des EPI, les mesures de ventilation, la formation des opérateurs et les plans d’urgence.
Facteurs aggravants et effets synergiques
L’exposition à des substances toxiques n’est jamais isolée de son contexte. L’environnement physique, les conditions d’organisation ou encore les caractéristiques individuelles des travailleurs peuvent renforcer les effets néfastes des produits chimiques. Ces facteurs d’aggravation, souvent sous-estimés, doivent pourtant être intégrés dès l’évaluation du risque.
Ventilation et confinement : une question d’air… vital
L’absence de renouvellement d’air ou une captation inefficace à la source favorisent l’accumulation progressive de substances volatiles ou de particules fines dans l’atmosphère. Dans des environnements fermés, comme les cuisines industrielles, les cuves de nettoyage, les laboratoires ou les locaux techniques, la concentration de polluants peut rapidement atteindre des seuils critiques, rendant l’inhalation quasi inévitable sans protection adaptée.
Poly-exposition : quand les substances s’additionnent… ou se renforcent
Les effets dits cocktails ou synergiques surviennent lorsqu’un travailleur est exposé simultanément à différents agents chimiques qui interagissent dans l’organisme. Par exemple, l’exposition combinée à des solvants organiques et à des poussières minérales peut multiplier les effets respiratoires ou neurologiques, même si chaque substance reste sous les seuils réglementaires individuellement.
Ce phénomène de poly-exposition concerne 1 salarié exposé sur 3 dans les secteurs industriels et reste largement sous-évalué dans les pratiques de prévention.
Vulnérabilités individuelles : des risques accrus pour certains profils
L’âge, le sexe, les antécédents médicaux (asthme, pathologies hépatiques ou dermatologiques), mais aussi certaines situations particulières comme la grossesse, peuvent accroître la sensibilité aux substances toxiques. Ces facteurs individuels influencent la vitesse d’absorption, les effets cumulés ou la capacité du corps à éliminer les toxiques.
Par exemple, une femme enceinte exposée au styrène ou aux solvants chlorés peut transmettre des effets reprotoxiques au fœtus, même à faible dose.
Contraintes organisationnelles : quand la prévention passe au second plan
La pression sur les délais de production, le manque de personnel formé ou la forte rotation de main-d’œuvre (intérimaires, jeunes en alternance) peuvent limiter l’application rigoureuse des consignes de sécurité. Le travail en horaires décalés ou de nuit aggrave encore le risque, en réduisant la vigilance et la disponibilité des encadrants.
Près de 40 % des salariés exposés à des produits dangereux déclarent n’avoir reçu aucune formation spécifique sur le risque chimique.
Le risque chimique
Sources
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